Nicolas Offenstadt: "La question des fusillés de 14-18 n’a jamais cessé d’être posée"
L’historien, spécialiste de la Grande Guerre, revient sur la nouvelle étape mémorielle que peuvent représenter les commémorations du centenaire de la der des der.L’idée d’engager une nouvelle étape dans la réhabilitation des fusillés pour l’exemple semble se développer. Qu’en pensez vous ?
Nicolas Offenstadt. Le plus important, sur cette question des fusillés, c’est de comprendre qu’elle s’inscrit en réalité dans un processus qui s’est engagé dès l’entre-deux-guerre, c’est-à-dire que la question des fusillés n’a jamais cessé d’être posée. Dans les années 1920 et 1930, il y a des milliers d’anciens combattants qui militent pour la réhabilitation d’un certain nombre de fusillés et pour faire condamner ce qu’on appelait les «crimes des conseils de guerre». Ils ont obtenu des dizaines de réhabilitations. La justice militaire, plus généralement, ce sont les anciens combattants de 1914 qui l’ont remise en cause, à tel point qu’elle a été réformée en 1928. Le problème dans la commémoration telle qu’elle a été engagée me semble porter sur le fait que le gouvernement a fait le choix de commémorer à la fois 1914 et 1944. Ce double anniversaire me paraît être une source de confusion. Par ailleurs, l’idée de célébrer la Grande Guerre en donnant l’image d’une unité idéalisée de la nation en guerre est erronée. En fait, de nombreuses conflictualités, résistances et luttes l’ont traversée.
Les derniers poilus sont morts. N’y a-t-il pas un risque d’enfouissement de la mémoire des événements de la Première Guerre mondiale?
Nicolas Offenstadt. À court terme et même à moyen terme, non. C’est une mémoire extrêmement vivante dans les familles. La génération des enfants et des petits-enfants, par exemple, est extrêmement sensible à l’expérience des aïeux, et on ne compte pas le nombre de familles qui valorisent le souvenir des poilus, que ce soit en conservant des objets des tranchées ou des correspondances. Il y a vraiment un intérêt très fort qui est à la fois familial, politique et social en France comme dans le reste de l’Europe. Des milliers de projets dans toutes les régions sont d’ailleurs en cours pour cette commémoration. Le problème se pose à plus long terme. La mémoire a une histoire et n’est jamais figée. Elle vit en fonction des enjeux sociaux. Si on veut donner des points d’appui pour l’avenir sur ce qu’est cette histoire, je pense qu’il faut partir d’une question fondamentale qui est celle du lien social, celle qui porte sur ce qui fait tenir les sociétés dans des circonstances dramatiques. Qu’est-ce qui fait qu’il y a des solidarités ou pas? Qu’est-ce qui fait qu’il y a des clivages de classe ou pas? Il en avait aussi à cette époque. La deuxième question pour l’avenir, c’est le rapport entre le citoyen et l’État. Jusqu’où supporter les contraintes qui sont imposées par le collectif et, en l’occurrence, à l’époque, par l’État? Enfin, qu’est-ce que le fait d’obéir ou de désobéir dans un contexte de guerre et de violence? Ce sont là des questions qui me paraissent largement mobilisables dans le présent et pour l’avenir.
Les All Blacks ont ranimé la flamme sous l’Arc de triomphe rappelant, par leur geste, l’engagement des troupes néozélandaises pendant la Grande Guerre. Parmi ces dernières, nombreux étaient les bataillons maoris. Cet acte ne rappelle-t-il pas, plus généralement, la participation des troupes coloniales à la guerre de 14-18, alors que des voix de droite et d’extrême droite remettent aujourd’hui en cause le droit du sol ?
Nicolas Offenstadt. Oui, c’est une question fondamentale. L’un des enjeux du centenaire, c’est bien de rappeler l’engagement des colonies ou des dominions dans la guerre de 14-18. Car, s’il y a eu des troupes néozélandaises qui ont combattu en France, il y a eu aussi des Kanaks qui sont venus combattre sur le chemin des Dames, par exemple. En outre, il faut rappeler qu’il y a eu aussi énormément de main-d’œuvre, des ouvriers chinois ou indochinois notamment. Et quand on dit participation, on doit aussi parler des violences qu’elles ont subies. Il y a eu des révoltes. Il y a eu des contraintes qui ont été exercées. Il ne s’agit pas simplement de célébrer leur sacrifice ou leur participation à la défense nationale, mais une réflexion d’ensemble sur les colonies dans la Grande Guerre doit être au cœur de la réflexion sur la commémoration.
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