À La
Seyne-sur-Mer, le démantèlement d’une vieille coque amiantée de la marine
suscite bien des inquiétudes. Cependant, s’il se révèle exemplaire, ce chantier
pourrait être l’amorce d’une nouvelle filière industrielle franco-européenne de
déconstruction des navires en fin de vie.
La
Seyne-sur-Mer (Var), envoyé spécial. La Saône, une vieille coque âgée de
soixante-quatorze ans, ne connaîtra pas le sort du porte-avions Clemenceau,
humiliant pour la Marine et empoisonnant pour la baie d’Alang, en Inde.
L’antique pétrolier ravitailleur est actuellement en voie de déconstruction au
port de Brégaillon, à La Seyne-sur-mer. « Le démantèlement se fera dans les
règles de l’art », a affirmé le préfet maritime de Toulon, en annonçant, en
avril dernier, que deux autres navires militaires en fin de vie dans la rade,
la Dives et l’Argens, suivraient la Saône sur ce chantier de douze mois, mis en
œuvre par l’État et la marine. Les travaux effectués par une cinquantaine de
salariés ont été attribués à la société privée française Foselev Marine,
laquelle délègue les opérations d’élimination de produits dangereux (PCB,
métaux lourds, hydrocarbures et surtout amiante) à Topp Decide et Prestosid
Snadec. Les directions de ces sociétés spécialisées assurent que le
désamiantage de la Saône, qui se déroule dans un hangar aménagé, est
« hautement sécurisé ». L’amiante serait éliminé dans des espaces confinés, et
le personnel, équipé de combinaisons de travail étanches, doit passer à la
douche en fin de journée. Les déchets toxiques seront traçables jusqu’à leur
destination finale. Enfin, le site de Brégaillon sera rendu, courant 2014, dans
son état initial.
Toutes ces
assurances n’ont pas éteint certaines inquiétudes des riverains. Car dès que
l’on entend le mot amiante dans les parages des anciens chantiers navals de la
Normed, de lourdes angoisses ressortent. Et pour cause : dans cette petite
ville ouvrière, pas moins de 2 500 dossiers de malades de l’amiante ont été
constitués par la Mutuelle de la Méditerranée. Son président, Henri Tite-Grès,
se félicitait, en août 2012, que 550 anciens de la Normed exposés à la fibre
tueuse aient obtenu, après des années de lutte judiciaire, des indemnisations
pour « préjudice d’anxiété ».
Une grande
réunion d’information, présidée par le préfet du Var, Laurent Cayrel, a permis,
en avril dernier, d’apporter des réponses techniques et des engagements de
l’État notamment aux élus et citoyens de La Seyne qui, à l’instar de l’adjoint
(PRG) au maire, Claude Astore, ne sont pas « contre la démolition des navires »
mais ne pensent pas qu’elle doive « se faire là
(à
Brégaillon – NDLR) ». Les autorités ont également promis de jouer la
transparence. Pourtant, nos confrères de la presse régionale qui en ont fait la
demande n’ont pu à ce jour mettre les pieds là où l’on manipule la substance
mortelle. Le maire (PS), Marc Vuillemot, le fera prochainement. Il se dit
« vigilant » et « très attentif » aux inquiétudes exprimées par certains de ses
concitoyens, tout en soutenant globalement la démarche industrielle : « Notre
littoral n’a pas qu’une vocation touristique, il offre un potentiel important
pour des activités industrielles. Et je n’ai pas peur de l’amiante dans la
mesure où l’on sait créer les conditions respectant les processus de dépollution
comme nous l’avons fait pour 2 500 logements sociaux réhabilités dans les
quartiers populaires. »
Car malgré
le saccage par la droite néolibérale de la Navale française, le savoir-faire
des travailleurs français est toujours là. Les sites en eaux profondes de
Méditerranée, tels que La Seyne ou Fos-Marseille, pourraient être des bases
idéales pour édifier une filière de déconstruction des navires, y compris de
plaisance, en fin de vie. Dès 2006, la CGT, appuyée par le PCF, a poussé ce
projet, d’abord au Grenelle de l’environnement puis auprès des conseils des
régions maritimes. Cette filière, plaident les syndicalistes, non seulement
serait créatrice d’emplois et permettrait le recyclage, entre autres, de cuivre
ou d’acier, mais elle permettrait aussi, comme le souligne Jean-Louis Horon,
qui instruit le dossier pour le comité régional CGT de Paca, de commencer à
« mettre fin au massacre des travailleurs, adultes et enfants, dans les
épouvantables chantiers de déconstruction des navires-poubelles européens en
Inde, au Pakistan ou au Bangladesh ».
Une fois
n’est pas coutume, les ONG Greenpeace, France nature environnement et Robin des
bois ont, à ce propos, navigué de concert avec la CGT ; deux élus écologistes,
Sophie Camard et Bernard Morel, faisant adopter, le 12 avril 2013, par le
conseil régional de Paca un vœu demandant à la Commission européenne de
labelliser un site de déconstruction navale en Provence. C’est que, en Europe
aussi, cette idée neuve a bien avancé. Le Parlement européen vient en octobre
dernier d’adopter une nouvelle réglementation visant, en substance, à rendre
drastiques les conditions dans lesquelles s’effectueront les travaux de
dépollution sur les sites candidats à la labellisation. Sites dont les
installations auraient dû être financées par une taxe annuelle de cinq centimes
d’euro par tonne débarquée, pour les navires de plus de 500 tonnes qui font
escale dans un port européen. Mais il aura manqué quelques voix, dont celles
des élus du Front national, pour que ce principe pollueur-payeur soit appliqué.
Ce qui ne décourage pas le comité régional CGT de Paca, lequel demande au
gouvernement de faire dès à présent émerger, par exemple dans le golfe de Fos,
autour de son port, de ses centres de formation professionnelle, de l’usine Ascométal,
« une éco-industrie de recyclage des navires en fin de vie ». « S’il est
exemplaire, ce pourquoi nous militons, le chantier de la Saône pourrait être la
pompe d’amorçage de ce projet », espère Jean-Louis Horon. Sachant que dans les
quinze ans à venir, 60 % de la flotte mondiale devrait partir à la casse et
qu’il reste actuellement sur la planète un stock de 100 millions de tonnes de
coques à déconstruire.
Repères
On démantèle
dans le monde plus de 1 000 navires par an.
La marine
française va, dans les prochaines années, envoyer à la casse trente grandes
coques et une centaine de petits engins nautiques pour un total de 100 000
tonnes d’acier.
L’Inde est
le pays où l’on déconstruit le plus de navires
(500 par
an), suivi du Bangladesh
et de la Chine.
L’utilisation
d’amiante comme matériau de construction est interdite en France depuis 1998.
Dans les vingt années qui ont précédé cette interdiction,
50 000 salariés ont été exposés
à la fibre
tueuse en Provence.
On estime le
nombre de décès dus à l’amiante, depuis 1995 et jusqu’à 2025, en France, à
100 000.
Philippe
Jérôme
humanité le 25 janvier 2013
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