Quartiers populaires/Cités
sensibles
A l'approche des élections municipales, les bonnes intentions
vont fleurir autant que les promesses (« qui n'engagent que ceux qui les
croient... » disait Pasqua, un grand serviteur de l'ordre libéral). La
période est propice pour saisir l'occasion de resituer l'enjeu majeur que
constitue la reconquête de la citoyenneté, en particulier dans les quartiers
sensibles parce que les plus défavorisés où le fossé se creuse entre les
habitants, les jeunes notamment et « les politiques » en général.
Il ne manque pas de discours moralisateurs et
culpabilisateurs à l'égard des habitants comme s'ils étaient LE problème, alors
qu'ils subissent -tout en disposant d'un logement alors que tant d'autres
attendent- les effets démultipliés d'une crise sociale, économique, morale,
politique.
Quand ils n'ont pas à y souffrir les humiliations
insupportables liées à leurs origines, à la couleur de leur peau, à leurs
croyances et coutumes, à se voir désignés à la vindicte comme fauteurs
d'insécurité, d'incivisme, en feignant de ne pas voir que c'est sur le terreau
de la crise, la plus profonde depuis 1929, que prennent racines et se
développent l'intolérance, la haine, le racisme, le rejet de l'autre, les
exclusions qui divisent la société et engendrent des replis communautaires qui
aggravent encore un peu plus les tensions.
C'est alors qu'apparaissent les apprentis sorciers à
l'extrême-droite et chez les fondamentalistes de toutes les religions,
récupérant toutes les colères, même les plus légitimes pour les détourner
vers des solutions simplistes et
radicales qui ont des relents de déjà vu, de déjà entendu, de déjà
expérimenté : « chacun chez soi, les étrangers dehors, vive le
droit du sang, la France aux Français, préférence nationale, rétablissons la
peine de mort... » et tout ira mieux !
Comment en est-on arrivé là ?
Il ne s'agit pas seulement de constater que la vie
quotidienne dans nos villes s'est dégradée partout et pour presque toutes les
couches de la population, mais plus encore dans ces quartiers le plus souvent
excentrés, accueillant des familles aux revenus très modestes, liés à
l'accroissement d'un chômage très supérieur à celui des autres quartiers,
entraînant des conditions de vie d'une grande précarité auxquels s'ajoutent les difficultés
scolaires, celles liées aux transports, aux soins, aux loisirs, à la
dégradation de l'environnement, à l'insécurité, aux trafics en tous genres générateurs
de violence.
Nul besoin d'être « un expert » pour savoir combien
de difficultés s'abattent sur les familles modestes aujourd'hui plus qu'hier,
du fait d'un pouvoir d'achat qui s'amenuise, d'une protection sociale qui
recule, d'un avenir incertain tandis que la richesse s'étale à l'autre pôle de
la société, le 1% de ceux qui ne connaîtront jamais les affres du chômage parce
qu'ils n'ont jamais quitté la classe des très riches qui tiennent l'économie et
la finances entre leurs mains et s'emploient à tenir les 99% dans une grande
dépendance qui les contraint à renoncer à l'essentiel des besoins les plus élémentaires.
Car le chômage, ce n'est pas seulement une statistique ni la
précarité une courbe sur un graphique, ce sont des réalités humaines, des fins
de mois qui commencent avant le 15, des privations sur tout : la
nourriture, l'habillement...ne parlons pas des loisirs, les loyers et les
charges qui pèsent lourdement au point, trop souvent, de ne pouvoir être
honorés. La galère, quoi !
C'est ce sentiment d'injustice y compris dans un pays
« riche » comme le nôtre, qui provoque l'exaspération de celles et
ceux qui créent les richesses et à qui l'on fait subir l'austérité renforcée
pour sauver les privilèges de ceux qui s'approprient les fruits d'un labeur
chichement payé à ceux qui n'ont que leur travail pour vivre, et encore pas
toujours, ce qui est le comble de l'humiliation.
Comment, alors qu'il n'y a jamais eu autant de richesses de créées par
le monde, ne pas être écœurés d'autant d'inégalités qui se creusent
tandis que ceux qui nous gouvernent paraissent plutôt bien traités et à
l'abri
du besoin. Il y a du cynisme à nous expliquer qu'il faut accepter les
sacrifices auxquels échappent ceux qui sont aux commandes des
institutions qui
nous ont mis dans cette situation !
Et pas par incompétence, par choix politiques qui ont conduit
à la désindustrialisation de nos territoires, à la liquidation de notre
agriculture paysanne. Les emplois perdus, juraient-ils, seront compensés par le
développement des nouvelles technologies, du secteur tertiaire, dont le
tourisme devait être la locomotive, dans une région comme la nôtre. La réalité
est tout autre.
Les délocalisations, la concurrence
« libre et non
faussée », la soumission aux exigences des marchés financiers, l'Europe
des marchands, contre les peuples, la mondialisation capitaliste...ont fait le
reste. Accentuant toutes les inégalités sociales, la précarité, la grande
pauvreté qui frappent durement les habitants de nos quartiers populaires.
Un rapport qui décoiffe

Ils partent d'un constat sans appel : toutes les
politiques de la ville sont à bout de souffle dans le sens où elles se font
faites sans les habitants de ces quartiers comme véritables maîtres d'ouvrage
des réponses à leurs problèmes. Et non pas seulement sollicités pour donner un
avis, dans le meilleur des cas, à l'institution qui gère les fonds alloués. Au
demeurant insuffisants et dont l'utilisation manque de transparence.
Et rien n'a véritablement changé dans l'évolution des
différents quartiers en termes de qualité de vie et d'accès aux services
publics, à une bonne formation, à un emploi, au logement...Les discriminations
y sont toujours ressenties comme une profonde injustice.
Ce qui est de nature à entretenir le sentiment d'une fatalité
et donc rend encore plus difficile de faire évoluer les mentalités de part et
d'autre, élus et habitants, alors que la crise s'approfondit et que le fossé
n'a cessé de se creuser entre les uns et les autres, ceux qui ont le pouvoir et
ceux qui n'en ont pas. Et qui finissent même par ne plus aller mettre un bulletin dans les
urnes tellement ils ont l'impression que ça ne va rien changer.
Les majorités politiques alternent mais rien de concret, si
ce n'est en pire, ne sort de l'alternance : les sacrifices pour les plus
démunis, les profits et les privilèges en haut de l'échelle sociale !
D'autant plus décevant que dans ces quartiers les populations majoritairement
avaient encore voulu croire à des promesses de changement de cap...à
gauche !
Ce n'est évidemment pas une raison de renoncer à peser sur le
cours de la politique et, en premier lieu, au niveau où la vivent -ou plutôt la
subissent- les habitants et où se posent tant de problèmes.
Rien sans nous !
C'est le défi que lance le rapport au gouvernement : il
faut changer de logique, non pas dans une visée récupératrice et électoraliste,
mais miser sur la capacité d'agir des habitants qui aspirent à accéder à de
réels pouvoirs de décisions et pas seulement à travers des assemblées élues à
qui ils délèguent des pouvoirs pendant plusieurs années.
On peut être sceptique sur la levée en masse des habitants de
nos cités pour élaborer des cahiers de revendications, se mobiliser pour les
faire aboutir ou s'opposer à des projets élaborés sans eux et leur paraissant
non prioritaires ?
cité la beaucaire |
On peut aussi deviner la résistance de certains élus ne
voulant pas perdre leurs prérogatives faisant valoir qu'ils appliquent le
programme sur lequel ils ont été élus et qu'ils traduisent chaque année par le
vote d'un budget qu'ils auront seuls la responsabilité de mettre en œuvre.
Mais n'est-il pas souhaitable d'avoir à faire à des citoyens-acteurs qui veulent se prendre en
charge et veiller à l'intérêt collectif, aux solidarités, à une démocratie qui
ne soit pas que délégataire ?
Il n'est pas anodin que, dès l'introduction, les deux auteurs
situent leur approche dans « une
perspective de transformation sociale »
en ayant conscience « que souvent les plus précaires et les
plus discriminés restent en dehors du jeu et même parfois que les décisions
soient prises à leur encontre... »
Ils plaident « pour des politiques publiques
co-élaborées et qui s'appuient sur les initiatives citoyennes...sur le pouvoir
d'agir des citoyens et sur la reconnaissance des collectifs amenant à dépasser
la hantise française du communautarisme... »
Le rapport développe une vision sans angélisme mais invite
« à sortir du discours réducteur sur le ghetto ce qui n'implique pas
d'entériner la ségrégation spatiale mais bien de reconnaître le rôle et les
spécificités de ces quartiers y compris dans l'innovation... » Notant
au passage que « le contexte actuel apparaît alarmant. La montée de
l'islamophobie qu'a alimenté le débat sur le port du voile ne peut que
contribuer à exacerber des formes de repli communautariste, à radicaliser les
discours, à créer des bases d'affrontements stériles... »
Il y a un gros travail de terrain et de recherches, de
propositions (31) qui ne vont pas de soi, pas un rapport de complaisance qui,
comme les précédents, ne laissera que peu de traces dans l'histoire, une fois
passé à la moulinette du gouvernement, gardien-de-la-sagesse-de ce-qu'il-est
possible-de-faire-dans-un-contexte-aussi-contraint...Car, et c'est bien là tout
ce que le rapport veut faire radicalement évoluer, l'institution politique
(l'Etat ou les collectivités) ne saurait avoir en toutes circonstances le
dernier mot.
Pas plus qu'ils ne prétendent avoir la science infuse.
Simplement persuadés d'avoir touché du doigt ce qui bloque l'investissement
citoyen : le sentiment qu'on l'écoute mais que ses pouvoirs sont limités,
y compris sur son lieu de vie (on pourrait aussi inclure le lieu de travail où
se posent le même type de rapports de domination).
La démarche, on l'aura compris, est moins quantitative
(encore que...les crédits ça compte) que qualitative : faire s'impliquer
les intéressés pour peu -mais c'est énorme- qu'ils se sentent investis de
responsabilités et de pouvoirs de décisions. Qu'ils se sentent considérés, plus
marginalisés. Et pire encore suspectés !
Une démarche authentiquement autogestionnaire, comme ces
entreprises de l'économie sociale et solidaire qui prouvent qu'il est possible
de gérer une entreprise sous la forme coopérative, sans viser l'accumulation du
capital comme but ultime mais seulement comme moyen de production. Une
conception fondée sur le partage des responsabilités, sur la participation
active de chaque salarié, disposant de tous les éléments de la gestion et
conscient qu'une gestion saine et perenne nécessite de prendre des décisions
véritablement collectives dans l'intérêt commun et non pas dans l'intérêt
d'actionnaires qui, parce qu'ils disposent d'un droit de propriété (qui leur
rapporte beaucoup d'argent) décident de ce qui est ou non rentable...du point
de vue de leurs seuls intérêts.
On touche là au cœur de la crise, aux limites du système
capitaliste qui ne veut aucun frein à sa soif de profits, soumettant les Etats
et les peuples à sa conception des rapports sociaux : les possesseurs de
capitaux, maîtres de l'économie et de la finance, une infime minorité, qui
tiennent à leur merci le sort de l'immense majorité de la planète. Réussissant
le tour de force de laisser croire que « ce sont les riches qui donnent
du travail aux pauvres... »
Le défi consiste justement à s'affranchir de cette domination
partout et à maîtriser la finance pour qu'elle soit mise au service de
l'emploi, de la formation, de la recherche, des services publics, du pouvoir d'achat, bref de la justice
sociale et de la protection de notre environnement.
Tout est possible si l'on se rassemble pour sortir de
la spirale qui nous enfonce et nous divise, nous isole pour exprimer notre soif
de vivre dans la dignité, notre exigence de justice et de solidarité. Dans le
respect de toute notre diversité.
René Fredon
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