La Constitution antifasciste italienne retrouve sa jeunesse
Rome (Italie), Envoyé spécial. 40.000
personnes se sont rassemblées à Rome pour réclamer la mise en œuvre des
droits inscrits dans la loi fondamentale. A l’appel de quelques
personnalités, le peuple de gauche a défilé pour défendre la
constitution de 1948 mise à mal par l'austérité.
Panne de sono temporaire derrière le
camion des étudiants. La voix du rappeur, vindicative, se tait. Plus
avant, la sono des métallos de la Fiom-CGIL prend le relai et entonne
des chants de la résistance. Qu’ils aient quatre-vingt, quarante ou
vingt ans, pour les 40.000 manifestants qui défilaient samedi dans les
rues de Rome, la Constitution antifasciste de 1948 est toujours jeune.
Elle est même la « voie à suivre », selon le slogan qui s’affiche sur
nombre de T-shirts et banderoles. A l’appel de quelques personnalités,
le peuple de gauche était appelé à exiger le respect de la loi
fondamentale de 1948, mise à mal par les politiques d’austérité, mais
aussi dire qu’il est l’heure « de la mettre en œuvre ». A dix-neuf ans, Sara a déjà la Constitution en main. Quel article de ce texte préfère-t-elle ? « C’est une poésie. Toutes les pages sont magnifiques », répond-elle. Son vers, son article préféré en langage juridique est « l’article 3 ! », qui rappelle que « tous les citoyens ont une même dignité sociale et sont égaux devant la loi ». « C’est important dans un pays où l’un d’entre nous est plus égal que les autres »,
précise- celle qui fait partie du Mouvement cinq étoiles du comique
Beppe Grillo, qui n’a pas appelé à la manifestation. La veille, au vu de
son âge, l’ancien président du Conseil Silvio Berlusconi a demandé à
être suivi par les services sociaux, pour, au vu de son âge, ne pas
avoir à passer par la case prison. Il avait été condamné en août à
quatre ans de réclusion, dont trois ont déjà été amnistiés.
L’article 3 dit aussi que « c’est le
rôle de la République que de retirer les obstacles d’ordre économique
et social qui, limitant de fait la liberté et l’égalité des citoyens,
empêchent le plein développement de la personne humaine », lit la jeune femme. En Italie, les bourses d’études sont trop peu nombreuses. « Et les études n’assurent plus un avenir », précise-t-elle.
De quarante ans son aînée, Antonieta del
Vicario, ancienne enseignante, brandit sur une pancarte l’article 34 de
la Constitution, qui assure la gratuité scolaire. « On manque
d’argent. On n’arrive plus à suivre tous les enfants. Il n’y a plus de
projets pour aider les étrangers qui arrivent en Italie », explique-t-elle. Elle et son mari sont sympathisants de Gauche écologie et liberté (Sel), une petite formation socialiste. « Notre Constitution est très belle ! », lance-t-elle. « Mais elle n’est pas appliquée ».
Fruit d’un compromis entre communistes, socialistes et Démocratie
chrétienne au lendemain de la Résistance, la Constitution républicaine a
été définie, par Piero Calamandrei, l’un des membres de l’Assemblée
constituante et du Parti communiste italien comme « une révolution promise en échange d’une révolution manquée ».
De ce fait, nombre de droits sont inscrits dans la loi fondamentale :
celui au logement, au travail. Des droits qui seraient bienvenus s’ils
étaient appliqués dans une Péninsule qui compte 9 millions de pauvres.
Des droits « universels » selon une migrante, parlant au nom du collectif « Tous dans la même barque »,
l’une des deux-cents organisations à avoir appelé au rassemblement. Les
migrants, « cette Constitution, nous l’avons faite nôtre »,
prévient-elle."une République fondée sur le travail"
Dans le cortège, beaucoup de drapeaux de
Refondation communiste, de Sel, de l’association anti-Mafia Libera, des
métallurgistes de la Fiom-CGIL. Le Parti démocrate, principale
formation de centre-gauche brille par son absence, hormis une poignée de
parlementaires de son aile gauche.
« Je suis là parce que pour un
syndicat, il faut rappeler que l’article 1 de la Constitution fait de
l’Italie une République fondée sur le travail », nous explique Nicola Nicolosi. « Je
suis le seul membre du secrétariat national de la Confédération
générale italienne du travail à être présent. Mais le peuple de la CGIL
est présent, lui », se réjouit-il, en embrassant le drapeau rouge aux couleurs de son syndicat, tenu par sa voisine.
Il faut dire que l’initiative de samedi
ne fait pas l’unanimité à gauche. Elle a été lancée par le juriste et
ex-candidat à la présidence de la République Stefano Rodotà, l’ancien
président de la Cour constitutionnelle Gustavo Zagrebelsky, le
secrétaire des métallos Maurizio Landini et le fondateur de
l’association anti-mafia Libera, le prêtre Luigi Ciotti. L’Association
nationale des partisans italiens (Anpi), tout comme la première
confédération du pays, la CGIL n’ont pas retenu opportun de se joindre
aux manifestants. Ces organisations sont proches du Parti démocrate
(PD), dont l’un des membres, Enrico Letta, dirige le gouvernement
d’union nationale avec le centre et les berlusconiens.
Au nom des politiques d’austérité, la
Constitution est attaquée. L’an dernier, l’équilibre budgétaire a été
inscrit dans la loi fondamentale grâce aux forces de la grande coalition
(PD, centre, berlusconiens), quasiment sans débats. Les partis
gouvernementaux souhaitent maintenant voir évoluer la loi fondamentale
dans deux directions : plus de présidentialisme par un renforcement des
pouvoirs de l’exécutif, ainsi que modifier les procédures de révision de
la Constitution, pour les rendre plus faciles. Ce dernier amendement
est dans les cartons, et les manifestants souhaitent qu’il soit soumis à
référendum.
La Constitution est précieuse, explique le secrétaire des métallos de la Fiom-CGIL, Maurizio Landini, lors du meeting final. « Pendant trois ans, nous nous sommes battus contre Fiat, qui a interdit notre présence dans ses établissements »,
rappelle-t-il. En vertu d’un accord signé avec les autres syndicats, la
direction du groupe automobile avait tout bonnement privé le syndicat
du droit de représenter les salariés, c’est-à-dire de se présenter aux
élections professionnelles. « Grâce aux articles 2, 3 et 39, la Cour constitutionnelle a fait plier la Fiat », se félicite Landini.
« La Fiom, tout comme le comité Eau
bien commun, font partie de cette coalition de vainqueurs, ceux qui ont
remporté une bataille grâce à la Constitution », s’est réjoui le
principal initiateur de la manifestation le juriste Stefano Rodotà, dont
le discours clôt la manifestation. En 2011, lors d’un référendum
d’initiative populaire, 27 millions d’Italiens avaient obtenu de
remettre l’eau dans le giron du public.
Stefano Rodotà, candidat en avril à l’élection présidentiel défend l’inscription des droits dans la Constitution. « Quand les ressources sont rares, elles doivent être utilisées en fonction des droits des personnes »,
prévient-il. Et de rappeler l’exemple de Naples où la Cour des comptes a
dû accepter que la municipalité crée 300 postes d’enseignants, malgré
un budget déficitaire. « Quand il y a un conflit avec un droit, l’exigence de l’économie ne peut prévaloir », traduit-il.
Provenant du catholicisme de gauche et fondateur de l’association antimafia Libera, Don Luigi Ciotti rappelle, lui, que « comme
l’Evangile, la Constitution part des derniers, des pauvres et des
exclus. L’Evangile parle de faim et soif de justice. La Constitution est
décrite pour dire plus jamais la pauvreté et l’inégalité. Notre charte
(constitution – NDLR) n’a pas été seulement écrite, elle doit devenir
chair ».
A l’heure où la banque JP Morgan recommande
dans une note d’en finir avec les constitutions antifascistes,
celles-ci constituent un rempart, fragile, contre plus d’austérité. En
Italie, elle l’est d’autant plus que la gauche est faible et divisée. Au
point que les adversaires de la manifestation ont prêté à ses
organisateurs l’intention de créer un nouveau « petit parti ». Pas
question pour Rodotà. « Chacun garde son identité ». Le but est de « créer une coalition sociale » pour la mise en œuvre de la Constitution. Le rassemblement, qui a rempli la place du Peuple à Rome, aura des suites.
Gaël De Santishttp://www.humanite.fr/

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